• Demain, dès l'aube...
    Victor Hugo
    (1802/1885)

    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
    J'irai par la forêt j'irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

     
    Le jardin mouillé
    Henri de Régnier

    La croisée est ouverte, il pleut
    Comme minutieusement,
    A petit bruit et peu à peu
    Sur le jardin frais et dormant.

    Feuille à feuille la pluie éveille
    L'arbre poudreux qu'elle verdit ;
    Au mur, on dirait que la treille
    S'étire d'un geste engourdi.

    L'herbe frémit, le gravier tiède
    Crépite et l'on croirait là-bas
    Entendre sur le sable et l'herbe
    Comme d'imperceptibles pas.
    Le jardin chuchote et tressaille,
    Furtif et confidentiel ;
    L'averse semble maille à maille
    Tisser la terre avec le ciel...


     
    Cassandre.
    Pierre de Ronsard
    (1524/1585)

    Mignonne, allons voir si la rose
    Qui ce matin avoit desclose
    Sa robe de pourpre au Soleil,
    A point perdu ceste vesprée
    Les plis de sa robe pourprée,
    Et son teint au vostre pareil.

    Las! voyez comme en peu d'espace,
    Mignonne, elle a dessus la place
    Las, las, ses beautez laissé cheoir
    O vrayment marastre Nature,
    Puis qu'une telle fleur ne dure
    Que du matin jusques au soir!

    Donc, si vous me croyez mignonne,
    Tandis que vostre âge fleuronne
    En sa plus verte nouveauté
    Cueillez, cueillez vostre jeunesse:
    Comme à ceste fleur la vieillesse
    Fera ternir vostre beauté.


     
    Le temps a laissé son manteau...
    Charles d'Orléans
    (1394/1465)


    Le temps a laissé son manteau
    De vent, de froidure et de pluie,
    Et s'est vêtu de broderie,
    De soleil luisant, clair et beau.
    Il n'y a bête ni oiseau
    Qu'en son jargon ne chante ou crie:
    « Le temps a laissé son manteau!
    De vent, de froidure et de pluie, »
    Rivière, fontaine et ruisseau
    Portent, en livrée jolie,
    Gouttes d'argent, d'orfèvrerie;
    Chacun s'habille de nouveau.
    Le temps a laissé son manteau
    De vent, de froidure et de pluie,
    Et s'est vêtu de broderie,
    De soleil luisant, clair et beau.


    Le cancre
    Jacques Prévert

    Il dit non avec la tête
    Mais il dit oui avec le coeur
    Il dit oui à ce qu'il aime
    Il dit non au professeur
    Il est debout
    On le questionne
    Et tous les problèmes sont posés
    Soudain le fou rire le prend
    Et il efface tout
    Les chiffres et les mots
    Les dates et les noms
    Les phrases et les pièges
    Et malgré les menaces du maître
    Sous les huées des enfants prodiges
    Avec des craies de toutes les couleurs
    Sur le tableau noir du malheur
    Il dessine le visage du bonheur.


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